05/10/2013

Nouvelle de Irvin G.

L'avis de Pseudo-Mew : "Super texte, très bien écrit, qui laisse rêveur. Si je devais résumer mon impression après la lecture, j'aurais juste deux mots à dire : c'est beau."



C'était un jour d'été particulièrement ensoleillé, comme les quatre jours qui l'avaient précédé.
Il y avait là sur la balustrade cette gamine d'à peine quinze ans, aux traits asiatiques, peut-être japonaise, déjà petite pour son âge, aux cheveux noirs blanchis qui lui tombaient jusqu'aux hanches. Son apparence, de ses vêtements déchirés dans ce qui semblait être une lutte acharnée à son visage meurtri, laissait penser que, malgré son ascendance pour le moins aisée, elle avait été élevée démunie de tout luxe, comme si ceux qui avaient pris sa charge n'avaient eu aucune considération pour elle.
En effet, malgré l'aisance dans laquelle elle était née, elle n'avait pas été élevée dans le luxe qui aurait dû la baigner. C'était un fait que personne, de la femme d'une trentaine d'année qui se tenait auprès d'elle désormais jusqu'à n'importe quel clampin qui aurait eu vent de son histoire, ne lui aurait rappelé.
Cependant, et malgré toutes les lacunes que son éducation présenterai désormais, elle était en admiration.
L'Apollon blond qu'elle admirait, qu'un sentiment inné lui donnait le nom d'Hélios, correspondait à tout idéal de beauté qu'elle n'aurait pas même suggéré.
Elle avait vécu coupée du monde -à qui la faute, elle se le demandait- et, pourtant, elle savait ce qui était le charme, la vrai beauté.
Cette beauté, bien que rien n'indiqua même qu'elle ne put être jamais qualifié d'un sexe ou de l'autre, s'associait à un homme, qui, bien qu'ayant longtemps vécu, ne semblait pas devoir s'éteindre dans un siècle, comme le font d'habitude les Hommes.
Cette beauté rayonnait d'une aura chaleureuse, et il sembla à la jeune fille, trop à raison sans doute, que rien, dans ce monde qui s'ouvrait enfin à elle, ne pourrait survivre si jamais cet homme venait à s'éteindre, laissant derrière un vide si immense qu'il aurait été profond, et dense.
Des larmes se mirent à couler de ses yeux qui lui semblait brûler dans sa contemplation. Elle dut rapidement s'asseoir, et la femme, qui attendait patiemment un signe qui lui indiquerait qu'elles pourraient partir, s'agenouilla devant elle.
"Mademoiselle, que peut vous causer un tel émois, que vous restiez si immobile que vous en soyez souffrante?
-Madame, qui est-ce? fit-elle en désignant vaguement du doigt la direction où elle savait se trouver cette Beauté qu'elle admirait depuis maintenant quelques instants.
-Quoi donc? Ces oiseaux? Ce sont des animaux connus sous le nom de...
-Non, non. Pas les oiseaux!"
La femme leva derechef les yeux dans la direction que désignait la fille, toujours assise, une main devant les yeux. Elle comprit alors:
"Oh. J'ignorais que vos souvenirs étaient à ce point altérés. Je vous prie de m'excuser. Mais souvenez-vous. Il s'agit de quelque chose que vous connaissiez.
-J'ignore ce que je sus sur lui. Rappelez-moi.
-Eh bien, de partout à travers le monde, il s'agit d'un symbole. La vie, l'espoir, voici les valeurs que l'on lui accorde sur n'importe quel continent que vous puissiez voir. On lui accorde même une valeur divine. Sa lumière nous éclaire tous, paysan ou Seigneur, où que nous soyons, que nous le voulions ou non. Mais n'oubliez jamais qu'il disparait forcément, lorsque le temps vient pour une autre de prendre le relais.
-Une autre?
-Oui, vous savez, celle qui accorde le repos à tous, ou que l'on soit et quoi que l'on pense.
-Je ne vous demande pas une métaphore de la vie, madame...
-Eh bien, je n'en voyais pas dans mes déclarations si peu prétendantes, mais il est vrai qu'une telle métaphore s'accorde parfaitement à ces deux véritables astres du monde.
-Astres?
-Eh oui. Nous les connaissons ainsi, tels des guides divins, qui seraient là pour rythmer nos vies."
La jeune fille prit le temps de réfléchir, toujours assise, à ce qu'elle apprenait. Quelque chose lui semblait étrange, mais elle n'aurait sut dire quoi. Ses pensées s'arrêtèrent un instant sur la fuite éternelle à laquelle semblait vouée cette Beauté. Etait-ce par fuite de la convoitise que tous devaient nourrir à son égard, des plus humbles paysannes aux plus fortunées et vaniteuse des reines? Elle, la gamine de quinze ans, elle se remémorait le passé, mais sentait qu'une pièce manquait. Seule les dernières années lui revenaient. Sept, ou peut-être huit ans passés. Elle avait perdu son identité. Et soudain, elle comprit comment reformer la pièce manquante au puzzle de son identité.
"Je veux le suivre, à tout jamais. Je veux qu'il m'emporte, je veux demeurer avec lui alors qu'il fuit la convoitise des femmes du monde."
A ces mots, la femme rit. Elle riait honnêtement, jusqu'à se calmer plusieurs secondes plus tard, pour parler de nouveau:
"Mais, mademoiselle, rappelez-vous qu'il revient éternellement, aussi. Jamais il n'oublie de revenir. Et il vous faudrait perdre toute votre fortune pour entreprendre un voyage qui vous permettrait de rester à ses côtés pour toujours!
-Ma... fortune?"
Tout était flou dans son esprit. Mais ce point-la, elle semblait s'en souvenir parfaitement. Des larmes se mirent à couler de nouveau de ses yeux de jais.
"Mademoiselle! Souffrez-vous? Que vous à-t-on fait subir, bon sang?"
La fille fut prise d'un malaise violent, inattendu, qui effaça de son esprit toute idée de résistance futile. Elle leva les yeux, et se souvint de ce qu'elle savait sur cet homme parfait, cet "Hélios".
Ce fut ainsi qu'elle s'évanouit.
La femme, paniquée à ses côtés, fit venir d'urgence le transport qui avait été affrété afin de ramener saine et sauve la jeune fille.

Ce fut dans une chambre tout à fait blanche, seulement percée d'une fenêtre sur son côté droit et dont le mur faisant face au lit sur lequel reposait un corps jusque là inanimé supportait un miroir, que la fille s'éveilla de nouveau. Elle était paniquée, et en sueur.
En face d'elle, son reflet dans le miroir, une gamine de quinze ans, aux cheveux et aux yeux noirs de jais, trop petite pour son âge, la fixait du même regard hagard qu'elle offrit à la femme qui l'avait extirpée de sa prison dorée il y avait quelques heures à peine. A ses côtés se tenaient une autre femme en pleurs, ainsi qu'un homme stoïque, chacun habillés à la dernière mode du riche monde. Tous deux partageaient avec elle des traits de visage communs, et tous deux semblaient s'être beaucoup inquiétés durant des années.
"Oh, ma fille, fit la femme en pleurs en enlaçant la fillette de toutes ses forces. Que t'ont-ils fait subir?
-Nous avons cru te perdre, fit l'homme, demeurant stoïque. Ils ne t'ont pas bien nourrie. Mange, les médecins ont déclaré ton état critique. Tu as besoin de forces."
Il lui désignait de la main un plateau sur lequel reposaient une nourriture d'une qualité irréprochable, ce qui semblait presque déplacé au vu du vide intégral de la chambre blanche où elle reposait maintenant.
L'autre femme, celle qui avait évoquée la fortune de la fille, semblait maintenant en retrait par rapport à l'affection dont elle avait essayé de faire preuve quelques heures auparavant.
"Laissez-nous, maintenant", fit l'homme à celle-ci, qui quitta la pièce sans dire un mot ni se plaindre de la façon dont elle était congédiée.
Soudain, la fille se souvint de la Beauté qu'elle avait put admirer il y avait peut-être trois ou quatre heures, à peine. Elle courut à la fenêtre. Il était tard. La Beauté était déjà repartie. La fille eut soudain une dernière poussée de conscience.
"Le Soleil... Il a laissé place à l'autre. La Lune serait-elle à la poursuite du Soleil?"
Ce fut là des paroles que l'on associa plus tard à un délire dû au manque de nutrition, mais, en réalité, la fillette parvint, avant de s'écraser de tout son long au sol, à raisonner pour conclure que tout cela semblait être une métaphore de ce qu'avait été sa vie: une fuite éternelle.

Deux jours plus tard, la presse avait déjà pris possession de l'affaire. Les journaux titraient tous avec une similitude étrange des titres tels que: « La fille d'un des plus importants directeurs d'usines mondiaux morte en raison de son kidnapping, qui dura plus de huit ans! ». Après quoi ils détaillaient, toujours avec une similitude presque déplacée, quelque chose qui ressemblait à cet extrait du premier journal japonais ayant relaté l‘affaire:
« Cette jeune fille de quinze ans à peine fut séquestrée par des ravisseurs, désormais en cavale, pendant huit longues années, avant d'être rattrapés par les policiers, accompagnés de la nourrice de l'enfant, qui put la mettre suffisamment en confiance pour ramener sans heurts la jeune fille auprès de ses parents. Cependant, les conditions physiques et mentales dans laquelle fut découverte la fillette dans la nouvelle planque qu'avaient établit ses ravisseurs, un célèbre hôtel de prestige, duquel furent envoyés finalement de vrais conditions pour la récupération de la fillette et qui ont put permettre aux autorités de découvrir l'emplacement de la fillette, ne permirent pas, même accompagnée des plus compétents des médecins des pays industrialisés, de survivre à ces huit ans.
« Ses parents reçoivent toute mes condoléances. », a déclaré ce matin le chef de l'équipe de médecins réquisitionnés pour le traitement de ce cas, « [...] mais rien n'aurait put préserver cette jeune fille, plus gravement atteinte par la maladie que ne l'aurait crut quiconque l'aurait observé sans un oeil médical. », complète l'un des médecins de l'équipe (voir page 7 pour les témoignages des médecins impliqués dans cette affaire). Des rumeurs circuleraient parmi les services de police, que la petite fille serait devenue tellement malade qu'elle se serait conçu un monde où le Soleil serait son amant éternel, fuyant la Lune qui convoiterait ses attraits, allant jusqu'à admirer en lui Hélios, l'ancien dieu grec.
Notre enquête exclusive viendra compléter toute ces informations et répondre à toutes les questions que vous pouvez vous poser sur cette enquête. », se vantaient alors tous les journaux traitants de l'affaire.
Ce fut bien là le seul souvenir que laissa la jeune victime qui avait vu dans le Soleil le reflet de sa propre mésaventure.